Une clause de mobilité obéit à de strictes conditions de mise en oeuvre

Dans un arrêt  du 14 octobre 2008 (Malagie, épouse Milcent contre SA Price Waterhouse Coopers Developpement), la Cour de Cassation est venue rappeler les conditions de mise en œuvre des clauses de mobilité définies à l’article L1121-1 du Code du Travail.

Ainsi, une clause de mobilité, si elle permet à l’employeur d’imposer au salarié un changement de lieu de travail,  ne saurait pour autant lui permettre de porter atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale, sauf à ce que cette atteinte soit justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

En l’espèce, le contrat de travail d’une salariée, consultante à temps complet puis à temps partiel prévoyait la possibilité de déplacements en France et à l’étranger, ainsi que la possibilité pour l’entreprise de demander à la salariée d’effectuer des missions, justifiant l’établissement temporaire de sa résidence sur place ; son poste étant néanmoins en principe établi à Marseille.

Cette salariée a refusé d’accepter une mission en région parisienne de trois mois et a été licenciée.

La Cour de Cassation est venue casser la décision d’appel, qui avait débouté la salariée de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle reproche en effet à la Cour d’appel de ne pas avoir donné de base légale à sa décision, en ne recherchant pas, si la mise en œuvre de la clause ne portait pas atteinte au droit à une vie personnelle de la salariée, et si cette atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

(Cass. Soc. 9 juillet 2008 n° 07-41.927)

viviane-stulz_191.jpgViviane Stulz, Avocat spécialiste en droit social, cabinet Clifford Chance.

La justice continue de limiter les contours de la mobilité des salariés pour éviter que les clauses de mobilité ne se transforment en mobilité constante de toute la famille. L'avis de Viviane Stulz, avocat spécialiste en droit social chez Clifford Chance.

Mon lieu de travail est-il intangible ? Ai-je le droit de refuser de changer de locaux ?

Si votre contrat de travail ne contient pas de clause de mobilité, votre employeur peut, en principe, vous imposer de changer de lieu de travail mais il lui faut votre accord pour vous muter hors du secteur géographique où vous travaillez. La notion de secteur géographique n'est cependant pas clairement déterminée par la Cour de cassation si bien qu'elle dépend de la région où vous travaillez et notamment de possibilités de transport qui s'y trouvent.

J'ai une clause de mobilité dans mon contrat. Suis-je obligé d'accepter de changer de lieu de travail ?

Dans bien des cas et surtout pour les cadres, l'employeur cherche à s'assurer une flexibilité en la matière afin de pouvoir utiliser les salariés là où ils sont le plus nécessaires à l'entreprise. Dans ce cas, le contrat de travail non seulement fixe le lieu de travail mais prévoit également que celui-ci pourra être modifié par l'employeur en fonction de ses besoins sans que cette modification ne constitue une modification du contrat et sans, par conséquent, nécessiter l'accord préalable et exprès du salarié.

Outre les conditions habituelles que les tribunaux ont été amenés ces dernières années à imposer pour la validité des clauses de mobilité (détermination par avance du secteur géographique dans lequel la mobilité pourra s'exercer), la Cour de cassation est venue récemment préciser encore les conditions de la mobilité par plusieurs arrêts du 14 octobre dernier.

Ainsi, votre employeur ne peut vous imposer un déplacement, même pour une mission temporaire de trois mois, si ce déplacement porte atteinte à votre droit à une vie personnelle et familiale, et n'est pas justifié par la tâche à accomplir et proportionné au but recherché. Mais vous ne pouvez refuser une mission temporaire impliquant un déplacement de votre lieu de travail, si cela fait normalement partie de vos fonctions, que si l'atteinte à votre vie privée est évidente. Il a ainsi été jugé que l'atteinte à la vie privée était trop grande, s'agissant d'une consultante du cabinet PriceWaterHouse rentrant de congé parental.

La mise en oeuvre de votre clause de mobilité ne peut avoir lieu, par exemple, pour vous sanctionner ; ainsi jugé à l'encontre d'une société exploitant un magasin MacDonald's qui, hors toute procédure disciplinaire, avait imposé à une salariée sa mutation  pour la sanctionner d'un comportement prétendument fautif (Cass. Soc. 14 octobre 2008, n° 07-40.345). La clause de mobilité ne doit donc pas être détournée de son objet, elle ne peut être appliquée que pour les besoins de l'activité de l'employeur et si elle est raisonnable par rapport à vos fonctions.

La Cour a rappelé également que la zone dans laquelle la mobilité peut s'exercer doit être déterminée précisément et par avance ; ainsi, le contrat de travail ne peut stipuler que le salarié pourra être amené à travailler dans tout nouvel établissement que l'employeur ouvrirait à l'avenir en France (jugé récemment ainsi en faveur d'une salariée de l'Union des amis et compagnons d'Emmaüs dont la clause de mobilité portait sur toute la zone d'activité de l'union sur l'ensemble du territoire français.

A supposer la clause de mobilité valable, mon employeur peut-il m'imposer de changer de lieu de travail ?

La mise en application de la clause ne doit pas avoir, indirectement, pour effet de modifier un autre élément de votre contrat de travail ; il ne faut pas par exemple que le changement de lieu de travail ait un impact sur votre rémunération (par exemple, si vous êtes commercial, une réduction de votre chiffre d'affaires réduisant d'autant vos droits à commissions) ; la modification du lieu de travail qui s'accompagne d'un passage d'un horaire de nuit à un horaire de jour ou inversement requiert bien entendu également l'acceptation du salarié.

La Cour a rappelé enfin que la mise en oeuvre de la clause doit être faite de bonne foi par l'employeur et dans l'intérêt de l'entreprise, éléments qui sont présumé acquis, si bien que c'est au salarié de prouver le contraire ; ainsi, par exemple, proposer une mutation au retour de congé de maternité d'une salariée, avec trois semaines de préavis, alors que le poste était libre depuis plusieurs mois, n'est pas une exécution de bonne foi du contrat de travail.

Et si je refuse pour des raisons personnelles non impérieuses de changer de lieu de travail, quels risques est-ce que je prends ?

A supposer la clause valable au regard de tous les critères imposés maintenant par la Cour de cassation, la modification du lieu de travail constitue alors une simple modification des conditions de travail qui s'impose à vous. En effet, le refus ne constitue plus nécessairement une faute grave mais un motif de licenciement « ordinaire » pour manquement par le salarié à ses obligations contractuelles.

(Source : L'Expansion)