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30/09/2008

Responsabilité du chef d'entreprise

Yvan Loufrani OWU3NGQzNjk2MWVhYzllYjgwY2IwAQY1rafOfZgtqZ4TaNb3thcgGmfS.jpgQuelque soit son statut[1], le dirigeant d’entreprise est responsable envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires soit des fautes commises dans leur gestion. Toute violation de la réglementation laisse présumer une négligence fautive du chef d’entreprise dans son devoir de contrôle et de surveillance. Cette responsabilité peut être engagée par la voie de plusieurs actions[2], elle peut être pénale. Responsable, le chef d’entreprise l’est indéniablement, sa rémunération en est la conséquence et la justification (A). Sa responsabilité est totale et couvre au premier chef la conformité réglementaire de son entreprise (B). Le risque de conformité, l’accident, la mise en danger d’autrui conduiront le juge à une recherche du responsable en commençant par le dirigeant de droit ou de fait (C).

A. Une responsabilité ciblée et rémunérée

Au point d’imputation de la responsabilité se trouve le chef d’entreprise (l’employeur (Vacarie, 1979) pour le droit social [3] ) titulaire du pouvoir patronal dans toutes ses composantes (direction, édiction de normes, répression disciplinaire) qui ne doit plus se contenter de garder un œil sur le tableau de bord financier mais doit prendre en compte, aussi, le tableau de bord social et environnemental. Par chef d’entreprise, il ne faut pas seulement entendre la personne physique mais aussi le représentant légal de la personne morale.

3.   A l’exception de l’Etat, toutes les personnes morales à but lucratif ou non, françaises ou étrangères engagent leur responsabilité. Les syndicats professionnels sont tout aussi concernés même si les peines les plus graves ne peuvent être réclamées contre eux[4]. L’article 706-43 du Code de procédure pénale dispose que l'action publique en responsabilité est exercée à l'encontre de la personne morale prise en la personne de son représentant légal à l'époque des poursuites. C’est normalement l’entité qui commet l’infraction qui doit être sanctionnée, il s’agit d’un principe de responsabilité personnelle. Le représentant légal représente la personne morale à tous les actes de la procédure. Si une seule entreprise est en cause, la détermination du responsable se fera suivant la structure adoptée. En cas de pluralité d’entreprises ou de sous-traitance, la détermination sera plus complexe.

4.   Dans tous les cas la CJCE recherchera la « continuité économique » de l’entreprise. Or, si la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) ne remet pas en cause ce principe, elle le tempère par l’adjonction d’un critère de « continuité économique » selon lequel le « successeur économique » d’un exploitant qui a commis une infraction peut être tenu pour responsable s’il continue à exploiter l’entreprise impliquée dans l’infraction. Si l’entité qui a commis l’infraction existe encore, cela n’empêche pas que soit sanctionné le cessionnaire s’il existait un lien structurel entre les deux exploitants[5]. A la suite d’un arrêt rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes le 11 décembre 2007[6] le « successeur économique[7]» d’une entité participant à une infraction peut être rendu responsable de l’ensemble de l’infraction ... alors que la première entité existe toujours. Ce critère de continuité des risques rend « de plus en plus difficile l’évaluation des risques en cas de reprise d’une entreprise susceptible de se voir reprocher une infraction au droit de la concurrence. La vigilance s’impose à l’évidence au repreneur[8]»  Cette incitation à une prise en compte de tous les indicateurs sociaux et sociétaux est quantifiée, dans certains groupes, par une  composante de la rémunération du dirigeant qui prend en compte d’une part,  des objectifs sociaux, environnementaux et éthiques et d’autre part, sa responsabilité juridique notamment pénale.  Un rapport réalisé en février 2005[9] par  la société de gestion financière Henderson Global Investors et le fonds de pension USS (Universities Superannuation Scheme) démontre que plusieurs grandes entreprises anglo-saxonnes (British Telecom, Shell, Vodafone) assortissent leur politique de rémunération des dirigeants d’objectifs sociaux, environnementaux et éthiques[10]. La part du bonus des dirigeants varie entre 10% et le tiers de leur prime globale. Le groupe Suez Lyonnaise des eaux a décidé de lier partiellement la rémunération de ses dirigeants à la performance en matière de développement durable. 7,2% de la rémunération totale  des dirigeants dépend d’objectifs non financiers. 12 engagements de progrès ont été pris. Ces engagements s'appliquent depuis le 1er juillet 2006 et sont dotés d'objectifs quantifiés et d'indicateurs de performance (sanitaires, techniques et économiques). Ils s'appuient sur un plan de progrès 2010 dont le respect sera vérifié chaque année par des auditeurs indépendants. Ces 12 engagements sont : la prévention de la pollution de la ressource en eau, la garantie de l'alimentation en eau en période de sécheresse , la lutte  contre le gaspillage , le rendu à la nature d’une eau propre , la promotion de la boisson Eau du robinet , la participation aux plans climat des collectivités locales et au respect du cadre de vie , l’aide des plus démunis à payer leur facture d'eau , la facilitation de l'intégration dans l'emploi , la valorisation  des hommes et des femmes du service de l'eau , la sensibilisation des jeunes et des moins jeunes générations à la gestion durable de l'eau , le renforcement du contrat de confiance avec les clients , la contribution  au débat démocratique sur l'eau.Chaque directeur de centre régional choisit trois ou quatre domaines sur lesquels il souhaite travailler en priorité suivant la maturité de ses équipes. Les exemples de ces groupes anglo-saxons et français, aussi révélateurs soient-ils de la prise en compte des données environnementales dans la gestion d’entreprise sont loin d’être généralisables.

B. Exigence de conformité réglementaireC’est souvent le respect de la réglementation par la mise en jeu de la responsabilité du chef d’entreprise qui sera le moteur principal de la prise en compte des données environnementales, sociales, éthiques dans la conduite de l’entreprise. Une entreprise qui prend le risque de ne pas respecter une réglementation peut se retrouver condamnée pénalement pour mise en danger d’autrui sans pour autant qu’un salarié ou une personne extérieure à cette société soit malade ou n’ait eu un accident[11]. La responsabilité pénale de l’entreprise disposant dorénavant d’un casier judiciaire (pour assurer l’effectivité des sanctions pénales prononcées à l’encontre des personnes morales) passe par la mise en cause du dirigeant, chef d’entreprise, représentant légal de la personne morale pour les entreprises sociétaires  ou de son délégataire.

 C. Recherche du responsable

La mise en jeu de toute responsabilité commencera donc par la recherche du chef d’entreprise. C’est un principe ! Le chef d’entreprise est pénalement responsable. Il peut être sanctionné en raison d’infractions commises par ses salariés dans le cadre de l’activité de l’entreprise ou simplement pour la mise en danger d’autrui[12]. En effet, en ne veillant pas au  respect des lois et réglementations au sein de son entreprise par son personnel salarié, il ngage sa responsabilité. Bien entendu sa responsabilité n’exclura pas celle du salarié[13] qui a matériellement commis la faute. Sa responsabilité est immédiatement mise en jeu dès qu’une infraction est constatée dans un établissement.

Le chef d’entreprise responsable,  mandataire social, représentant légal, sera donc suivant la structure adoptée par l’entreprise et dans la mesure ou la personne physique exerce la réalité du pouvoir de direction : le président de son conseil d’administration où le directeur général[14] pour les SA de type classique, le président du directoire pour les SA à conseil de surveillance ;  le gérant de la Sarl, de la SNC ; le président de l’association ; le directeur ou l’administrateur chargé de la gestion interne du groupement pour un syndicat ( syndic dans une copropriété) ; l’administrateur judiciaire.

Si la personne physique n’exerce pas la réalité du pouvoir de direction, le juge recherchera le dirigeant réel, c'est-à-dire la personne qui, dépourvue d’un mandat social, s’est immiscée directement ou par personne interposée dans le fonctionnement d’une société pour y exercer une activité positive de direction, et a, en fait, exercé la direction, l'administration ou la gestion des dites sociétés sous le couvert ou au lieu et place de leurs représentants légaux[15]. La question s’était posée pour Mr Marcel Dassault en 1977 à propos de la compatibilité de ses fonctions avec l’exercice d’un mandat parlementaire. Le conseil constitutionnel[16], saisi, avait estimé dans sa décision que Mr Dassault n’était pas dirigeant de fait n’ayant pas pris part directement ou indirectement à la direction d’une de ses sociétés[17]. La direction de fait ne pourra être retenue que s’il est démontré des actes positifs de gestion effectués en toute indépendance par une personne autre qu’un dirigeant de droit[18].

Si une même situation délictueuse  concerne plusieurs entreprises juridiquement distinctes, le chef d’entreprise dont le personnel a été victime de l’infraction sera responsable sauf si ce personnel obéissait à une autre direction que la sienne. Le juge recherchera alors s’il existe une entreprise « pilote » pour attribuer les responsabilités ou la continuité économique (voir plus haut).

Le  cas de la sous-traitance  pose un problème particulier pour déterminer la responsabilité. Le chef de l'entreprise utilisatrice assure ( art.237-2 du code du travail) la coordination générale des mesures de prévention qu'il prend et de celles que prennent l'ensemble des chefs des entreprises intervenant dans son établissement. La responsabilité est donc partagée, chaque chef d'entreprise est responsable de l'application des mesures de prévention  nécessaires à la protection de son personnel.   Cette coordination générale a pour objet de prévenir les risques liés à l'interférence entre les activités, les installations et matériels des différentes entreprises présentes sur un même lieu de travail. Au titre de cette coordination, le chef de l'entreprise utilisatrice est notamment tenu d'alerter le chef de l'entreprise extérieure concernée lorsqu'il est informé d'un danger grave concernant un des salariés de cette entreprise, même s'il estime que la cause du danger est exclusivement le fait de cette entreprise, afin que les mesures de prévention nécessaires puissent être prises par le ou les employeurs concernés

[1] Pour la SARL : es gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ( article 223-22 du code du commerce) ; Pour la SA : Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.( art.l225-251 du code du commerce)

[2] Action u singuli ouverte à tout associé ou groupe d’associés qui détiennent un certain pourcentage du capital de la société, action individuelle des associés qui vise à réparer leur préjudice propre.

[3] Les notions de chef d’entreprise, d’employeur, de patron représentent trois modèles de pouvoir encadrant les relations de travail. La notion de patron ( du latin patronus dérivé de pater –le père) est une figure de protection/soumission. Le père commande, l’individu doit se soumettre. Le chef ( latin caput, la tête ) d’entreprise (entreprendre désigne une opération militaire au XIIème siècle ) a plutôt une figure de leader charismatique. L’employeur ( du latin implicare ) est un verbe en 1080 qui signifie un processus d’enlacement qui s’applique à une chose, dans le sens de s’en servir, d’user, d’utiliser. Cest la notion d’employeur qui est utilisée en droit social pour désigner un dirigeant professionne (Enriquez, 2006)..

[4] La dissolution est exclue pour les personnes morales de droit public, les syndicats, les partis politiques et les institutions représentatives du personnel.

[5] C-204/00P (Aff.Ciment)

[6] Affaire C208/06 (aff.ETI)

[7] L’AAMS organe institutionnel de l’Etat Italien gérait jusqu’en 1999 le monopole du tabac, date à laquelle ses activités sont transférées à un autre organisme public l’ETI qui sera privatisé en 2003. L’ETI privatisé se verra infliger la totalité de l’amende correspondant non seulement à son infraction avant la privatisation mais aussi à celle de l’AAMS.

[8] Nicole Coutrelis, Morgane Le Luherne, avocats Coutrelis&Associés Paris Bruxelles, Les Echos 29 avril 2008 « la responsabilité du repreneur d’une entreprise ».

[9] Getting what you pay for: Linking executive remuneration to responsible long-term corporate success February 2005

[10] Extra-financial measures should certainly not be used to the exclusion of financial performance to determine executive remuneration, or to justify pay-outs when a company has not met its earnings per share (EPS) or total shareholder return (TSR) targets but has, for example, met its health and safety targets or environmental key performance indicators (KPIs). But companies should consider incorporating (and disclosing) these additional targets alongside the financial measures used in traditional incentive schemes. p2 Getting…ibid

[11] Dans un arrêt du 6 mars 2008, la cour d’appel de Douai a condamné Alstom Power Boilers à la peine maximale de 75000 euros et son directeur de site de Lyz-Lez-Lannoy (Nord) à trois ans d’emprisonnement avec sursis. La cour les a estimé coupables de violer de manière délibérée , entre juillet 98 et mars 01des dispositions du décret du 7 fevrier 1996 relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à  l’inhalation de poussières d’amiante.

[12] La Tribune du 20 mars 2008 Entreprises : la justice sanctionne la mise en danger d’autrui

[13] En pratique, les salariés sont rarement poursuivis dans la mesure où ils n’avaient pas d’intention de nuire où si seule l’entreprise a profité de l’infraction.

[14] L’article L.225-51-1 du Code du commerce stipule que la direction générale peut être assumée par une autre personne physique que le président du conseil d’administration portant le titre de directeur général.

[15]Article L246-2 Les dispositions des articles L. 242-1 à L. 242-29, L. 243-1 et L. 244-5, visant le président, les administrateurs ou les directeurs généraux de sociétés anonymes ou de sociétés européennes et les gérants de sociétés en commandite par actions sont applicables à toute personne qui, directement ou par personne interposée, a, en fait, exercé la direction, l'administration ou la gestion dédites sociétés sous le couvert ou au lieu et place de leurs représentants légaux. Article L245-16 Les dispositions du présent chapitre visant le président, les administrateurs, les directeurs généraux et les gérants de sociétés par actions sont applicables à toute personne qui, directement ou par personne interposée, aura, en fait, exercé la direction, l'administration ou la gestion dédites sociétés sous le couvert ou au lieu et place de leurs représentants légaux.

[16] Décision n° 77-5 I du 18 octobre 1977

[17] « Considérant, …, que la notion de direction de fait, …, doit s'entendre d'une participation à la conduite générale de l'entreprise active, régulière et comportant prise de décisions ; que l'ensemble des informations portées à la connaissance du Conseil constitutionnel et des investigations auxquelles celui-ci, en l'état des pouvoirs dont il dispose, a été en mesure de procéder, n'ont pas apporté la preuve que M Marcel DASSAULT exerce en fait, au jour de la présente décision, directement ou par personne interposée, la direction de l'une ou de plusieurs des sociétés ou entreprises dont il s'agi ».

[18] Tel est le cas d’une société administrateur de holding comme le montre l’attendu suivant :  « Attendu que pour déclarer bien fondée l'action en comblement de passif dirigée contre la société Sogepass et pour condamner celle-ci au paiement de l'insuffisance d'actif des quatre filiales, l'arrêt retient que la société Métallurgique de Normandie, aux droits de laquelle se trouve la société Sogepass, qui détenait 43,50 % du capital de la société-mère et qui était l'administrateur de la société Huet et Lanoé laquelle détenait le capital des sociétés Petre et fils, Lepissier et Patriat, Nouvelle des établissements Henri Reye et Quinofer à concurrence respective de 99,50 %, 99,72 %, 99,75 % et 99,70 %, doit également être considérée comme dirigeant de fait des quatre filiales ; Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à établir que la société Métallurgique de Normandie, aux droits de laquelle se trouve la société Sogepass, avait dirigé, en fait, chacune des filiales, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; » (Cour de Cassation, Chambre commerciale, Audience publique du 2 novembre 2005, N° de pourvoi : 02-15895 )

Yvan Loufrani 

Docteur en sciences de gestion - Juriste social - Paris

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